Je n’avais jamais fait de gravure. J’avais fait d'autres choses : écrire, photographier, de la céramique, puis de la peinture. Tout cela s’est chevauché, mon trajet d’artiste est tuilé… aujourd’hui, tous ces langages s’accompagnent.
En gravure, il y a des contingences matérielles qui décident du sort de ton travail, beaucoup plus qu’ailleurs, beaucoup plus que dans l’écriture ou la peinture. La moindre tache de doigt restera inscrite, d’un bout à l’autre du travail. Si tu ne nettoies pas la plaque, la plus belle gravure ne sortira pas : il faut la désoxyder, la rendre propre, polie.
Puis on vernit la plaque : il faut toujours prévoir ce qu’on va faire ensuite, afin de choisir entre divers vernis : mous, durs, à l’essence… Chacun a une importance. Si tu veux faire une pointe sèche, qui raye le métal au moyen d’une pointe d’acier, ton vernis ne doit pas craqueler en séchant, sinon il abîmera ton trait.
La gravure est un ensemble de techniques manuelles. On vernit la plaque, on a préparé un dessin. Enfin, à mes yeux… Je sais que beaucoup, au XXe siècle, ont oublié le dessin. Mais pour moi, il est primordial de savoir dessiner, parce que je suis humain ; si je ne dessine pas, je « jette » sur la toile. Donner la primauté au geste pur, d’accord, mais bon… la pureté, ça se travaille… Je préfère l’ascèse de la danse : en elle, il y a primauté du geste, mais un geste mille fois répété. Le danseur ne peut tricher avec son corps, sinon il le paye. Un homme, ça dessine, ça ne jette pas son trait. De même, je pourrais dire: un homme, ça pense. Nous ne sommes pas qu'instinct. Et qui peut me dire en quoi l'instinct serait supérieur à la raison?
Quant à la gravure, les choses se corsent car elle est un travail d'équipe, non seulement la technique a son mot à dire, mais aussi toutes ces choses difficilement maîtrisables que sont les outils, les vernis, les solvants, les encres, les papiers, etc. Et que dire de tous ces artisans: taille-douciers, imprimeurs,etc. qui aident, bien sûr, mais ont légitimement leur mot à dire.